Page:De Lamennais - Paroles d'un croyant, 1838.djvu/141

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Croyez-vous que celui qui se promène tranquille dans un de ces parcs qu’on appelle royaumes, ait une vie plus douce que le fugitif qui, de bois en bois et de rocher en rocher, s’en va le cœur plein de l’espérance de se créer une patrie ?

Croyez-vous que le serf imbécile, assis à la table de son seigneur, en savoure plus les mets délicats, que le soldat de la liberté son morceau de pain noir ?

Croyez-vous que celui qui dort, la corde au cou, sur la litière que lui a jetée son maître, ait un meilleur sommeil que celui qui, après avoir combattu pendant le jour pour ne dépendre d’aucun maître, se repose quelques heures, la nuit, sur la terre, au coin d’un champ ?

Croyez-vous que le lâche, qui traîne en tous lieux la chaîne de l’esclavage, soit moins chargé que l’homme de courage qui porte les fers du prisonnier ?

Croyez-vous que l’homme timide qui expire dans son lit, étouffé par l’air infect qui environne la tyrannie, ait une mort plus désirable que l’homme ferme qui, sur l’échafaud, rend à Dieu son âme libre comme il l’a reçue de lui ?

Le travail est partout et la souffrance partout : seulement il y a des travaux stériles et des travaux féconds, des souffrances infâmes et des souffrances glorieuses.