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LA TIARE DE SALOMON

je saurai la date de mon retour à Paris. Quand au but de mon voyage scientifique je ne vous le dirai en route que si je le juge utile.

Merci, me voilà bien renseigné ! pensa le brave homme, qui ajouta timidement :

— Et monsieur le baron, connaît beaucoup le monsieur qui va nous accompagner ?

Le baron prit un air sévère :

— Je n’aime pas les questions indiscrètes, monsieur, fit-il. Sachez cependant, monsieur, que Oscar Sigouard est un garçon d’une grande valeur qui je prise beaucoup, et dont le concours me sera très précieux à tous égards.

— Monsieur le baron doit certainement avoir raison, murmura Monsieur Ricochet en se retirant à reculons, et il ajouta à part lui en tirant sa tabatière de corne :

— Qu’il prise Sigouard si le nez lui en dit, quant à moi je préfère mon « macouba ».


CHAPITRE II


Quatre jours après le quai de la Joliette à Marseille, présentait une animation extraordinaire en raison du départ imminent de La « Mouëtte » un des meilleurs paquebots des Messageries Maritimes, faisant la traversée de Marseille à Bombay.

À bord du navire dont on lâchait déjà les amarres, deux passagers et une passagère venaient d’arriver. Le premier des deux hommes était le baron Simono coiffé d’une large casquette à visière verte, sous laquelle sortaient deux yeux étincelants de colère :

— L’animal va nous faire rater le départ, rugissait entre ses dents le baron.

Derrière le baron venait le fidèle Ricochet, plus rose qu’à l’ordinaire, ce qu’expliquait deux énormes valises dont il était chargé, et que devant la colère de son patron il n’osait déposer à terre.

— Il est de fait, monsieur le baron, dit-il, que la conduite de ce monsieur Sigouard est bien inexplicable. Enfin puisqu’il est votre ami, il a peut-être des raisons pour ne point se gêner.

— Mon ami ! mon ami ! s’écria le baron exaspéré, apprenez d’abord, monsieur Ricochet, que monsieur Sigouard n’est point mon ami et à l’avenir je vous défends de l’appeler de ce nom devant moi. Vous entendez, monsieur Ricochet ?

Le secrétaire changea deux fois de mains ses valises, avec une vivacité qu’on ne pouvait mettre que sur le compte d’une émotion intense, et il balbutia :

— J’ai bien compris, j’ai bien compris, monsieur le baron, c’est entendu.

Et dans sa précipitation à changer ses valises de mains, l’infortuné en laissa soudain tomber une sur les pieds de la voyageuse qui l’accompagnait, et qui elle aussi depuis quelques minutes roulait des yeux furibonds.

C’était une grande et forte femme, au nez busqué et aux lèvres rouges et épaisses, et cette voyageuse n’était autre que la belle Sidonie, l’épouse adorée d’Oscar Sigouard. La toilette de Madame Sigouard était un véritable arc-en-ciel.

Un chapeau mousquetaire gris surmonté d’une immense plume verte brisée en deux endroits, couvrait ses cheveux noirs en broussaille. Une taille, dite « boléro » en velours mauve contenait sa puissante poitrine. Une jupe en alpaga violet enserrait sa croupe rebondie, et des souliers vernis flambants neufs emboîtaient ses larges pieds chaussés de bas rouges. Quand nous aurons dit qu’autour du cou de l’épouse de Monsieur Sigouard resplendissait un triple collier de perles de Venise et qu’à ses poignets s’enroulaient deux serpents en « double-fin », nous aurons achevé la description de la com-