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Les Nuits de Musset… Durant un demi-siècle, les amantes s’en sont délectées ; les petites filles dont on coupe le pain en tartines les ont savourées en cachette ; les jeunes mariées en ont nourri leur liberté récente ; tous les chagrins d’amour, de l’un et l’autre sexe, ont cherché ici leur écho : ils le trouvaient.

Car les poètes sont les porte-parole de ceux qui leur ressemblent ; à leurs frères inconnus, ils fournissent la formule des émotions en mal de s’exprimer ; la douceur de n’être plus seuls dans nos moments de solitude, c’est eux qui nous la donnent ; parce qu’ils se confessent, ils nous procurent la satisfaction d’entendre par leur voix nos propres confidences, et parce qu’ils se confessent harmonieusement, ils nous montrent en beauté notre joie ou notre peine ; ce qui frémissait au fond de nous, dans le clair-obscur de nos âmes, ils l’illuminent, l’amplifient et le font chanter ou crier, en sorte que par eux nous éprouvons le plaisir de nous voir et de nous entendre un peu mieux qu’en nous-mêmes, et de nous constater encore plus heureux ou plus misérables que nous ne pensions, ce qui nous grandit à nos yeux.

De cela, trois conclusions au moins vont se déduire. Tout d’abord il est évident que chaque poète rassemblera autour de lui un auditoire proportionné au nombre des « âmes sœurs » dont il traduit le sentiment ; plus ce nombre sera grand, plus sa gloire sera probable, et si, par fortune, il traduisait le sentiment de tous, sa gloire serait universelle.

Mais les générations se suivent, et leurs modes de