Page:De Musset - Voyage en Italie et en Sicile, 1866.djvu/12

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Les Français, disait Charles-Quint, paraissent fous et ne le sont pas. Si ce grand prince nous voyait à présent, il changerait d’opinion et nous trouverait sans doute aussi fous que nous le paraissons. Ce sont plutôt les Napolitains qui sont plus sages qu’ils ne le paraissent. Leur turbulence cache une raison profonde. Tandis que nous nous agitons à poursuivre un bonheur qui nous tourne le dos, le Napolitain est heureux par lui-même. Au lieu de se créer des besoins factices, il jouit du peu qu’il a. Le ciel lui a fait les dons les plus précieux : la bonne humeur, sans laquelle César envie le sort d’un portefaix ; la sobriété, source du bien-être et des bonnes sensations et la résignation qui est la sobriété de l’âme.

Rien n’est divertissant comme l’humeur démonstrative du Napolitain. Il parle autant avec ses mains et tout son corps qu’avec sa langue. L’exagération est un besoin pour lui. Le terme le plus emphatique est celui qu’il choisira pour vous dire la chose la plus simple du monde. Les Français me paraissent être le peuple dont l’expression offre la plus juste proportion avec ce qu’il sent. L’Espagnol sent peut-être plus qu’il n’exprime. L’Anglais en général ne sent rien et n’exprime pas davantage. Le Napolitain sent vivement, mais il exprime trois fois plus qu’il n’est capable de sentir. Celui qui a de l’éloquence réussit facilement à vous entraîner ; celui qui n’en a point y supplée par le bruit. Au marché de Santa-Brigida, le pêcheur qui n’a devant lui qu’un petit poisson vocifère et se démène pour vous faire acheter sa pêche comme si c’était une baleine. Il vous met sa marchandise sous le nez en criant de toutes ses forces ; mais si vous lui donnez le demi-carlin après lequel