Page:De Musset - Voyage en Italie et en Sicile, 1866.djvu/13

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il aspire, une réaction se fait à l’instant. Vous retrouvez, au bout d’une heure, votre diable incarné paisiblement assis dans son panier, fumant sa pipe ou dormant à l’ombre, avec trois brins de macaroni dans l’estomac et il faudrait alors une somme d’argent très grosse pour l’engager à sortir de sa quiétude. Cet homme, si pétulant tout à l’heure, dont la bouche s’ouvrait comme un four, dont les yeux étincelaient et qui prononçait les mots avec précision, la force et le ronflement des castagnettes, vous regarde d’un air majestueux ou endormi et ne parle plus qu’à contre-cœur. Demandez-lui de quel pays il est : le matin, ce sera Nappoli et il vous racontera l’histoire de toute sa famille ; le soir, il articulera péniblement Nabolé en fermant ses paupières afin de rompre l’entretien.

Une pièce blanche de deux carlins est un trésor que le lazzarone a quelquefois aperçu dans la main d’autrui, mais qu’il n’a jamais possédé. Je suppose que vous lui suspendiez une large piastre au-dessus du visage en lui disant : Viens à mon logis que je dessine ton portrait et ceci t’appartient. Il laissera son sofa d’osier, sa pipe et sa sieste pour bondir comme une carpe et vous suivre tout palpitant d’espérance. Vous établissez votre modèle en face de vous dans la posture qui lui est naturelle et commode, c’est-à-dire bien campé sur la hanche droite, la veste drapée en manière de manteau, le nez en l’air, le poing sur le flanc gauche et le bonnet penché sur l’oreille. Vous prenez votre crayon et vous pensez déjà tenir un dessin à consulter comme souvenir ; mais, au bout de cinq minutes, le lazzarone commence à bâiller, à étendre ses membres et à se remuer