Page:De Musset - Voyage en Italie et en Sicile, 1866.djvu/166

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faisait une révérence et vous demandait la permission d’aller à ses affaires, avec le ton d’une personne raisonnable. A douze ans, elle était grande et bonne à marier. Si vous l’eussiez vue marcher dans la rue en balançant sa longue taille, si au fond de son capuchon noir elle eût tourné sur vous ses yeux brillants, surmontés d’un front jaune et frais comme la nèfle du japon, monsieur le Français, je vous assure qu’elle vous eût fait perdre la tête. Elle portait la mante noire avec une grâce qu’on ne connaît plus à Catane et, pour cette raison, nous l’appelions la belle Toppatelle. Dans ses premières années de jeunesse, elle avait je ne sais quelle fantaisie de faire la méchante et de maltraiter ses amoureux. Les garçons n’y prenaient pas garde et continuaient à rimer, pour elle, plus de mauvais vers qu’il n’y a d’étoiles au firmament ; car ces drôles devinaient bien que sous cette cendre froide dormait un feu caché qui ne pouvait manquer de s’allumer tôt ou tard. Lorsqu’elle travaillait à l’aiguille auprès de son père, qui était tailleur, on inventait cent prétextes pour entrer dans la boutique ; mais les jeunes gens les plus beaux ou les plus riches et les étudiants de l’université eux-mêmes ne réussissaient pas à la distraire de son ouvrage. Le soir, si elle entendait une guitare sous sa fenêtre, elle éteignait aussitôt sa lumière et renonçait à respirer sur son balcon, de peur des sérénades, ce qui est le plus grand sacrifice que puisse faire une Catanaise.

Cette indifférence lui dura jusqu’à quinze ans ; c’est le bel âge pour les filles de la Sicile et celui où la nature les mène souvent comme il lui plaît. En face de la maison du petit tailleur était le palais