Page:De Musset - Voyage en Italie et en Sicile, 1866.djvu/19

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A Milan, c’était bien une autre affaire. La divine Taglioni et Mademoiselle Ceritto dansaient alternativement à la Scala. Il y avait de quoi se passionner. L’enthousiasme de chaque soir est impossible à imaginer, et je me garderai bien de le vouloir décrire, ne l’ayant pas vu. La solidité de la salle fait le plus grand honneur à l’architecte, car, pendant trois mois, elle a résisté aux épreuves les plus terribles du dilettantisme. Heureusement c’était dans le nord de l’Italie, où le sang allemand a porté quelque peu de flegme. Si la chose se fût passée à San-Carlo, le théâtre eût été infailliblement démoli.

A Florence, le public était partagé entre deux danseuses, l’une grande et l’autre petite. C’était une nouvelle guerre des Montecchi et des Capelletti. Des bouquets on était arrivé aux bouquets monstres, puis aux couronnes, et il était à craindre que les deux sujets ne vinssent à périr étouffés sous une pluie de fleurs. Le luxe s’en mêla ; un partisan de la grande jeta des couronnes à feuilles d’argent. Les amis de la petite lancèrent des feuilles d’or. Un soir, un ballot ficelé tomba sur la scène : c’était une robe de velours. Le parti ennemi ne se découragea point, et jeta le lendemain, un châle de cachemire. On disait déjà dans la ville qu’un signor baron, chef de l’une des coteries, songeait au moyen de faire descendre des avant-scènes un carrosse à quatre chevaux avec le chasseur à son poste, à quoi on aurait sans doute répondu par un château orné de tourelles et de fossés. La fin de l’année dramatique vint arrêter ce magnifique crescendo.

Les trois mots qu’on entend le plus souvent répéter en Italie sont ceux de simpatico, seccatore, jettatore,