Page:De Musset - Voyage en Italie et en Sicile, 1866.djvu/20

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et ils ont un sens particulier au pays. On dit d’une personne qu’elle est sympathique, comme nous dirions qu’elle est aimable ; mais ce n’est pas la même chose. L’amabilité ne se reconnaît qu’après la connaissance faite, tandis qu’on est sympathique à première vue, et la première vue a beaucoup d’importance à Naples ; on s’y règle sur ce qu’on sent, tandis que nous voulons connaître, approfondir et juger. Il y a des raisons à donner pour trouver qu’un homme est aimable ; il n’est pas besoin de raison pour éprouver de la sympathie. Le terme de seccatore embrasse les diverses catégories des ennuyeux, des sots, des importuns et des fâcheux. S’il n’a pas d’équivalent en français dans un sens aussi général, en revanche on ne manque point de mots pour le traduire fort exactement dans toutes ses acceptions particulières.

Quant au jettatore, son essence est purement italienne. Le sorcier des campagnes qui jette des sorts volontairement, avec connaissance de cause, n’en est qu’une variante. Le jettatore a une de ces figures hétéroclites comme le climat de l’Italie en produit beaucoup ; maigre, maladif et ridé, avec un long nez en bec d’oiseau surmonté d’une paire de lunettes, la main osseuse, la bouche sardonique, il flotte dans ses larges vêtements. Sa rencontre porte infailliblement malheur si on n’a pas soin de repousser le maléfice en dirigeant vers lui l’index et le petit doigt. Le plus sûr est de porter sur soi des cornes de corail, fabriquées à cet effet et dont tout le monde est muni à Naples, même les étrangers, car rien ne se gagne plus vite qu’une superstition. Dans les boutiques, les études de notaire, les salons des hôtels, on a de