Page:De Pisan - Œuvres poétiques, tome 1.djvu/87

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée


XXXVI



Se vraye amour est en un cuer fichée
Sanz, varier et sanz nulle faintise,
Certes c’est fort que de legier dechée ;
4Ainçois adès de plus en plus l’atise
Ardent desir et l’amour qui s’est mise
Dedens le cuer, qui si le fait lier
Qu’il n’en pourroit partir en nulle guise,
8Et qui pourroit telle amour oublier ?

Pour moy le scay, qui suis toute sechée
Par trop amer ; car, sans recreandise,
Ay si m’amour fermement atachée
12A cil amer, ou je l’ay toute assise,
Qu’en ce monde nul autre avoir ne prise,
Ne je ne fais fors melencolier.
Quant loings en suis, riens n’est qui me souffise.
16Et qui pourroit telle amour oublier ?

Si ne pourroit jamais estre arrachée
Si faitte amour, car, pour droit que g’i vise,
Je n’ay pouoir qu’ en moy de riens dechée,
20Et si suis je d’autres assez requise ;
Mais riens n’y vault : un seul m’a tout acquise :
Tant pourchaça par soy humilier,
Que je me mis du tout a sa franchise,
24Et qui pourroit telle amour oublier ?