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Les Délices

vives s’étant échaufés la tête par la boisson, élevent quelque querelle, ils ne ſe répandent jamais en injures, mais ils la vuident ſur le champ à la pointe de l’épée.[1]

Au tems de Tacite les Liégeois vivoient ſous la domination des Romains, ils y vêquirent encore pendant plus de deux Siécles ; mais aiant ſans doute trouvé le gouvernement des François plus doux & plus conforme à leur humeur, ils s’y ſoumirent, & ils y ont vécû juſqu’à la douziéme année du dixiéme Siécle. On ne peut en douter, ſi l’on conſidére que ce Peuple ſitué entre l’Allemagne, la Hollande, le Brabant, & la Flandre, a conſervé la langue françoiſe, cultivé le génie de cette nation, & qu’à la galanterie & le luxe près il eſt françois dans toutes ſes maniéres. Voilà ce que je crois devoir dire pour lui rendre la juſtice qui lui eſt dûë. Ceux qui connoissent le bon naturel des Liégeois, leur afabilité, leur politeſſe, leur bonne foi & leurs maniéres prévenantes & engageantes pour les étrangers, avoueront certainement que je n’en ai pas trop dit.

J’épargnerois la vérité ſi j’avançois qu’on parle à Liége la Langue françoiſe dans ſa pureté. J’oſe neanmoins aſſurer qu’on la parle moins mal qu’en pluſieurs grandes Villes de France, & beaucoup mieux que dans la plûpart des Provinces de ce Roïaume. Elle y a été en uſage dans le même tems : ce qui me fait conclure qu’elle eſt la Langue naturelle du Païs. Les anciennes Chartes ſont également en Latin dans ces deux États, mais depuis que ce ſtile a ceſſé, & que la Langue vulgaire lui a été ſubſtituée, tous les Manuſcrits, les Actes & les Ecrits publics ſont en François. Elle s’eſt ſucceſſivement perfe-

  1. Diem noctemque continuare potando nulli probrum. Crebræ, ut inter vinolentos rixa rarò convitiis, jæpiùs cæde, & vulneribus tranfiguntur.

    En peignant les mœurs des Allemans en général, Tacite peint, ſans contredit, celles du Peuple, qui habitoit alors ce que l’on apelle, aujourd’hui, le Païs Liégeois. C’eſt de quoi l’on ne peut douter, lorſqu’il dit que la boiſſon ordinaire de ceux, qui ſont établis en deça du Rhin, eſt une liqueur tirée du Blé ou de l’Orge, & que ceux, qui habitent les bords de ce fleuve, ont l’uſage du vin, & en font même commerce.

    Potui humor ex hordeo, aut frumento, in quandam ſimilitudinem vini corruptus. Voilà certainement la biére, boiſſon ordinaire des Liégeois. Proximi Ripæ & vinum mercantur. Voilà le Peuple de Cologne, &c tous les autres, qui habitent les bords du Rhin, en remontant à ſa ſource.