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du Pais de Liége

les ſecondes nôces étoient abſolument condamnées.[1] On vouloit que toutes les afections des veuves fuſſent enſevelies avec leurs maris ; de peur qu’en leur permettant de ſe remarier, elles ne paruſſent avoir plus d’inclination pour un mari, que d’eſtime pour l’état honorable du mariage.

Les Liégeoiſes ſavent aprécier l’un & l’autre. Très-reſpectueuſes & fidéles à leurs maris, elles n’oublient pas le reſpect & l’eſtime qu’elles doivent au mariage, qui autoriſe leur tendre union. Inſtruites qu’elle a été élevée à la dignité de Sacrement, & loin d’en uſer comme d’une choſe profane, elles en ſerrent ſi fort les nœuds, que rien, non pas même la plus forte & la plus tendre paſſion qui pourroit l’avoir précédé, n’eſt capable de les relacher dans les obligations qu’elles ont contractées en

  1. Meliùs quidem adhuc eæ Civitates, in quibus tantùm virgines nubunt, & cum ſpe, votoque uxoris femel tranſigitur. Sic unum accipiunt Maritum quomodo unum corpus, unamque vitam, ne ulla cogitatio ultrà, ne longior cupiditas ; ne tanquam Maritum, ſed tanquam Matrimonium ament.

    Ne ſeroit-ce pas cette coutume, déja connuë aux Romains, long tems avant Tacite qui auroit fourni à Virgile, l’idée des tendres ſentimens qu’il préte à l’illuſtre fondatrice de Cartage ?

    Ille meos primus, qui me ſibi junxit, amores,
    Abſtulit, ille habeat ſecum ſervetque sepulchro.

    La même coutume ſe pratiquoit-elle en Afrique ? le Poëte ſemble tenir l’afirmative, lorſqu’il fait dire à Junon, qui devoit être inſtruite des coutumes de tous les Païs, qu’elle donnera à Énée cette Heroïne pour femme, que les liens de leur Mariage ſeront indiſſolubles, & que la pureté de leurs feux ſera inaltérable.

    Connubio jungam ſtabili, propriamque dicabo.

    Il paroit, dans un autre endroit, tenir la négative, lorſqu’après la conſommation du prétendu Mariage, il dit d’un air, & d’un ton de Cenſeur des mœurs, que Didon, voiloit du nom ſacré du mariage ce qui n’étoit qu’un éfet volontaire de ſon incontinence.

    Connubium vocat, hoc prætexit nomine culpam.

    Il n’eſt donc pas poſſible de ſavoir quelle eſt l’opinion de Virgile, mais je crois que dans la fameuſe Hiſtoire de la Matrone d’Éphéſe, Petrone donne à la coûtume en queſtion un ſens plus naturel. Il fait joüir cette veuve déſolée des droits du veuvage, ſans l’aſſervir aux devoirs génans du mariage, & c’eſt, ſelon moi, de cette façon que doit être entendu le paſſage de Tacite.

    S’il pouvoit être interprété autrement, le ſort d’une femme, qui auroit eu le malheur de perdre ſon mari à l’âge de 18. ou 20. ans, auroit été bien triſte, & bien à plaindre. La coûtume auroit été un abus intolérable. Heureuſement pour les Liégeoiſes, elle ne ſubsiste plus. Celles qui ſe trouvent dans le cas, ſuivant, comme l’on fait ailleurs, le conſeil de l’Apôtre, préférent un ſecond engagement à une continence laborieuſe, qui expoſe la chaſteté à des épreuves délicates.