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Les Délices

de gens. C’eſt à proprement parler une Académie, où l’on converſe ſur toute ſorte de matiéres. Les Siences, les Arts, la politique & d’autres ſujets ſemblables dignes des gens d’eſprit, y fourniſſent à la converſation. La crapule & l’indécence en ſont entiérement banies. Une demi bouteille de vin eſt toute la liqueur que chaque particulier y boit en deux ou trois heures de tems. Les ſociétés s’y font de trois ou quatre perſonnes, & la converſation n’y eſt preſque jamais générale. Les jeux de hazard y ſont défendus, & l’on n’y joue que des jeux peu intéreſſés. Les Echets, le Trictrac, & le Piquet ſont ceux qu’on y joue ordinairement. Ces plaisirs innocens, joints aux maniéres gracieuſes & polies de la compagnie qu’on y voit, ſont capables de récréer le Bourgeois & l’étranger, qui ſachant ſe borner aux ſatisfactions de l’eſprit, ne recherchent pas celles des ſens dans des plaisirs groſſiers, propres à altérer la ſanté, & à heurter la vertu.

Il n’est point en ce Païs d’Académie publique pour le jeu. On joue dans quelques maiſons particuliéres ; mais elles ne ſont ouvertes qu’à de certaines ſociétés, & aux étrangers, lorſqu’ils y ſont introduits par des gens connus. On y vit avec une grande réſerve. Chacun ſe tient ſur ſes gardes ; & on évite avec ſoin de ſe faufiler avec toute ſorte de perſonnes connuës & inconnuës, pour ne pas tomber dans les inconveniens que la cohuë fait naître.

Les Liégeois ont en général l’eſprit vif & pénétrant, dont ils font un bon uſage. Ils l’emploïent à cultiver les Siences & les Arts, & à faire fleurir le commerce. Le travail & l’industrie de la populace y contribuent beaucoup. Les hommes de ce bas état non moins adroits, & auſſi infatigables que les Ministres de Vulcain, dont parle la Fable, ne ceſſent de travailler. D’autres hardis, entreprenans & intrepides Mineurs, ſont toûjours ocupés à des travaux dificiles & dangereux. Les femmes mêmes auſſi fortes que les porte-faix des autres Païs, y portent toute la journée des fardeaux, ſous leſquels vous diriés qu’elles vont ſucomber. Je me réſerve d’en traiter ailleurs plus en détail.