Page:De Scudery - Alaric, ou Rome vaincue, 1654.djvu/120

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esgalement, voyant son amitié,
Sont comblez de merveille, et touchez de pitié.
Mais bien que sa beauté presques toute autre efface,
L’oracle a prononcé, ce qu’il faut que l’on face :
Si bien que le grand prestre en faisant son devoir,
Changea lors de victime, et me rendit l’espoir.
Ma fille cependant, au milieu du tumulte,
S’examine en secret ; se parle ; se consulte ;
La voit ; la considere ; et reconnoist enfin,
Le genereux amant, qui change son destin.
Dieux (dit-elle en parlant à la feinte estrangere)
Quelle injuste fureur ce dessein vous suggere ?
Et pourquoy voulez-vous, par un zele indecent,
Sauvant un cœur coupable, en perdre un innocent ?
Le sort qui m’a choisie, a decidé la chose :
Si l’on s’oppose à luy, c’est au ciel qu’on s’oppose :
Ainsi ne venez point troubler l’ordre du sort,
Qui vous laisse la vie, et demande ma mort.
Non (luy respond l’amant, de qui l’ame est ravie)
Les dieux ne veulent point une si belle vie :
Leur justice y repugne, ainsi que leur bonté ;
Et suivant mes desirs, je suy leur volonté.
L’oracle nous l’explique, et je crois cet oracle :
A nostre commun bien, ne mettez point d’obstacle :
Si vous me regretez, mon destin est trop doux :
Et puis qu’il faut mourir, je veux mourir pour vous.
Mais je ne le veux pas, luy respond cette amante :
Loin d’amoindrir mon mal, vostre dessein l’augmente :
Oüy vous l’encherissez, sur la rigueur du sort,