Page:De Scudery - Alaric, ou Rome vaincue, 1654.djvu/139

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fait entr’eux deux, un assez long silence :
Là souffrent ces deux cœurs plus d’une violence :
Et là peuvent-ils voir qu’en ce moment fatal,
Leur amour est esgale, et leur tourment esgal.
Mais enfin le despit de cette infortunée,
Rendant quelque vigueur à son ame estonnée,
Et sa noble fierté venant à son secours,
Elle vient à la charge encor par ce discours.
Vous sçavez mieux que tous, autheur de ma disgrace,
Et le rang que je tiens, et celuy de ma race :
Vous sçavez qu’apres vous le sceptre m’apartient,
Et que je sorts enfin d’un lieu dont il vous vient.
Or qui vous peut respondre en cette longue absence,
Qu’un rival se servant des droits de ma naissance,
N’entreprenne sur vous par un double attentat,
De vous oster l’amante en vous ostant l’estat ?
Craignez, craignez seigneur, une fille irritée,
Parmy le desespoir où vous l’aurez jettée :
Craignez, craignez un sexe assez vindicatif,
Et qui pour se venger n’est que trop inventif.
Ha ! Non, respond ce prince, ha ! Non, je ne crains guere,
Dans un si noble esprit, un sentiment vulguaire :
Pourquoy faire esclatter cét injuste courroux,
Puis qu’ainsi que mon cœur, ma couronne est à vous ?
Mais vous pouvez bien voir qu’il vous croit indulgente,
Puis que lors qu’il s’esloigne il vous laisse regente,
Ce cœur, ce triste cœur, qui s’esloignant d’icy,
Vous laisse son pouvoir, et qui s’y laisse aussi.