Page:De Scudery - Alaric, ou Rome vaincue, 1654.djvu/141

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Telle d’Amalasonthe est la douleur extrême ;
D’abord elle la presse, et la cache en soy-mesme ;
Mais un moment en suite augmentant son malheur,
Le feu de sa colere esclate avec chaleur.
Quoy, dit-elle, il me quitte, et l’amour me demeure !
Quoy ce feu vit encor, lors qu’il faut que je meure !
Quoy pour l’aymer encor j’ay le cœur assez bas !
Quoy je le voy partir, et je ne le haïs pas !
Ha ! Non, non, je le haïs à l’esgal de la peste,
Celuy dont le départ me devient si funeste ;
Celuy sur qui mes yeux ont manqué de pouvoir ;
Celuy que j’ay trop veu, devant ne le plus voir.
Dieu, que n’ay-je une flotte à ramer toute preste !
J’irois, j’irois ingrat, sans craindre la tempeste ;
Sans craindre les combats ; sans craindre le danger ;
T’attaquer, te punir, te perdre, et me vanger.
J’irois dans ton vaisseau porter plus d’une flâme :
J’en aurois à la main, comme j’en ay dans l’ame :
Et j’y mettrois enfin, pour punir ta rigueur,
Ce desordre mortel que tu mets dans mon cœur.
O souhaits impuissans ! ô desirs inutiles !
O pleintes sans effet ! ô reproches steriles !
Vous ne produisez rien contre un amant sans foy,
Et si vous agissez, ce n’est que contre moy.
Là, pleine de despit, cette amante animée,
Sur un lict de drap d’or tombe à demy pasmée :
Et les yeux vers le ciel, tous trempez de ses pleurs,
Un silence eloquent parle de ses douleurs.