Page:De Scudery - Alaric, ou Rome vaincue, 1654.djvu/142

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Mais comme elle taschoit de les rendre discrettes,
Elle entend sur le port, les clairons ; les trompettes ;
Les fiffres ; les tambours ; et ce bruit general,
Que poussent des vaisseaux voyant leur amiral.
A ce bruit importun la belle se releve :
(Car elle juge bien que son malheur s’acheve)
Et courant au balcon, et regardant vers l’eau,
Elle voit Alaric qui monte son vaisseau.
Il est environné d’une superbe troupe ;
L’or et le fer luisant, brillent sur cette poupe ;
Et ce grand conquerant tout couvert de lauriers,
Luy paroist tel qu’un Mars entre tous ces guerriers.
Elle le voit enfin ; il la voit tout de mesme ;
Le mal de l’un est grand ; celuy de l’autre extrême ;
Et leurs yeux attachez se disent à l’instant,
Ce que je ne puis dire en vous le racontant.
Elle luy tend les bras ; il tend les bras vers elle ;
Mais prest de tout ceder aux desirs de la belle,
Le desir de l’honneur redevient le plus fort ;
Il destourne ses yeux, mais non son cœur du port ;
Il met la main au sabre, et d’un coup memorable,
Afin de s’esloigner il en coupe le chable.
Les nochers aussi-tost font joüer le tymon ;
Et prenant bien le vent qui leur estoit fort bon,
Ils esloignent la terre ; et la main du pilotte,
Semble seule mouvoir toute la grande flotte ;
Car tout part, tout le suit, et tout quittant ces lieux,
La ville en peu de temps se desrobe à leurs yeux.