Page:De Scudery - Alaric, ou Rome vaincue, 1654.djvu/189

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Pour estre malheureux il suffit seulement,
Que l’on soit sans les voir un funeste moment.
C’est passer, c’est passer, du plaisir à la peine ;
Du repos au travail ; de la gloire à la gesne ;
De la bonne fortune au plus rigoureux sort ;
Et pour tout dire enfin, de la vie à la mort.
Ha vous en dites trop ! Luy respond l’heroïne ;
Une adresse excessive est souvent la moins finne :
Et malgré l’eloquence, et malgré tous vos soins,
J’en croirois beaucoup plus si vous en disiez moins.
Dieu ! Pouvez-vous douter, luy dit-il, de ma flâme ?
Examinez mon cœur ; lisez bien dans mon ame ;
Et pour sçavoir quelle est mon amour et ma foy,
Connoissez vous madame, et puis connoissez moy.
Vous trouverez en vous une prudence extrême ;
Vous trouverez en moy la fidelité mesme ;
Vous trouverez en vous cent attraits tous puissans ;
Vous trouverez en moy cent desirs innocens ;
Vous trouverez en vous une beauté parfaite ;
Vous trouverez en moy l’aise de ma deffaite ;
Vous trouverez en moy, vous trouverez en vous,
Et le cœur le plus ferme, et l’objet le plus doux.
C’est le temps, c’est le temps, respond cette princesse,
Qui vous descouvrira si vostre flâme cesse :
C’est de luy, non de vous, que je le veux sçavoir :
Et si vous aymez bien il me le fera voir.
Le temps, dit Alaric, n’a point assez d’années,
Pour changer de mon cœur les belles destinées :