Page:De Scudery - Alaric, ou Rome vaincue, 1654.djvu/227

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Et loin de ton royaume, et loin de ses beaux yeux,
Souffre ce que merite un cœur ambitieux ;
Souffre ce que merite une ame temeraire,
Qui veut tout entreprendre, et qui ne peut rien faire.
Là le heros s’arreste ; et sa pasle couleur,
Mieux que tous ses discours exprime sa douleur :
Son silence eloquent parle plus que sa bouche ;
Il voit bien la raison, mais elle l’effarouche ;
Il veut ne la pas suivre ; il la suit toutefois ;
Et luy preste en ces mots, et son cœur, et sa voix.
Superbe passion, tu prens trop de licence :
Ignores-tu du ciel, et l’ordre, et la puissance ?
La main qui fait mon mal, le sçaura bien guerir :
Elle m’apelle à Rome, il la faut conquerir.
Laissons nostre advenir à sa sage conduite :
Par ce commencement jugeons bien de la suite :
Le chemin de la gloire, où je suis animé,
Est tousjours difficile, et d’espines semé.
De ces difficultez je tire un bon augure,
Et nous le verrons tel que je me le figure :
Car malgré les escueils, et les bancs, et les eaux,
L’œil de Dieu qui voit tout, voit où sont mes vaisseaux.
Il peut me les oster, comme il peut me les rendre :
Il m’a promis la gloire, et mon cœur doit l’attendre :
Il est tout veritable, ainsi que tout puissant ;
Et si j’en puis douter je suis mesconnoissant.
O dieu de l’univers, acheve ton ouvrage :
Comme tu m’as sauvé, sauves-les du naufrage :