Page:De Scudery - Alaric, ou Rome vaincue, 1654.djvu/326

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Tiburse mon rival, homme de bonne mine,
Qui des fameux Catons tire son origine,
En mesme temps que moy se laissant enflâmer,
Et la vit, et l’aima, car la voir, c’est l’aimer.
Si je l’idolastrois, il en fut idolastre :
Nous la suivions au temple, et sur l’amphitheatre :
Et nos yeux luy disoient nostre secret tourment,
Par de tristes regards jettez languissamment.
Mais la fiere beauté qu’on ayme et qu’on revere,
Estant esgalement, et modeste, et severe,
Destournant finement ce muet entretien,
Faignoit de ne pas voir ce qu’elle voyoit bien.
Cependant sa froideur augmentoit nostre flâme :
Lors qu’elle s’en alloit elle emportoit nostre ame :
Nous la suivions des yeux, et ne la voyant plus,
Tous deux nous demeurions, et tristes, et confus :
Et tous deux nous croyant autheurs de nostre peine,
Joignions dans nostre esprit, et l’amour, et la haine.
Chaque nuit, sans espoir ainsi que sans raison,
Je passois mille fois pardevant sa maison :
Et chaque nuit encor, pendant ma resverie,
J’y rencontrois Tiburse avec mesme furie.
Pour me payer du cœur qu’on m’avoit desrobé,
Je subornois alors tous les serfs de Probé :
Et je les conjurois par mon amour fidelle,
De luy parler de moy comme ils me parloient d’elle :
Ils me le promettoient ; mais Tiburse à son tour,
Avec d’autres presents descouvroit son amour :