Page:De Scudery - Alaric, ou Rome vaincue, 1654.djvu/338

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Alaric en soûpire, et privé de repos,
En soûpirant encore il se tient ces propos.
O prince malheureux, quelle est ta destinée,
Puis que mesme au triomphe elle est infortunée,
Et qu’apres un honneur qui ne te sert de rien,
Le sort de tes captifs est plus doux que le tien ?
Valere va revoir la beauté qui le dompte,
Et tu ne revois point la belle Amalasonthe :
Et l’on voit dans son ame, et l’on voit dans ton cœur,
Un vaincu plus heureux que ne l’est son vainqueur.
Il va revoir Probé ; son plaisir est extrême ;
Car est-il rien si doux, que de voir ce qu’on aime ?
Tu le sçais, tu le sens, si proche du trespas,
En aymant un objet, et ne le voyant pas.
O ciel qui connoissez ma douleur inhumaine,
Si je le dois revoir faites durer ma peine :
Mais si ce bel objet ne l’est plus pour mes yeux,
Precipitez la mort que je cherche en ces lieux.
Je suis vaincu d’un oeil qui vaincroit tout le monde :
Ainsi que sa beauté, ma flâme est sans seconde :
O cruelle memoire ! ô charmant souvenir !
Hastons-nous de voir Rome afin d’en revenir.
A ces mots Alaric, dont l’ame est enflamée,
Va faire battre aux champs, et descamper l’armée :
Apres avoir remply, de Canut, chef vaillant,
L’employ de Radagaise au courage boüillant.
Tout descampe, tout marche, et sous un si grand homme,
Les bataillons pressez tournent teste vers Rome :