Page:De Scudery - Alaric, ou Rome vaincue, 1654.djvu/339

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Precipitent leur marche, et portent leurs regards,
Vers le Tibre fameux par les faits des Cezars.
Comme on voit, quand la mer a franchy ses rivages,
Les flots suivre les flots, estendant leurs ravages ;
Couvrir les vastes champs, et puis d’autres apres,
Poussez d’autres encor qui les suivent de pres.
Ainsi les bataillons aux bataillons succedent ;
Ils s’estendent tousjours dans les lieux qui leur cedent ;
La terre en est couverte ; et l’on en voit encor,
Qui font briller bien loin l’acier flambant et l’or.
Mais durant qu’Alaric traverse l’Italie,
Tiburse plein de honte et de melancolie,
Meslé dans les vaincus de qui la troupe fuit,
Devance de fort peu Valere qui le suit.
Presque en un mesme temps ils font voir leur tristesse,
A la belle Probé leur illustre maistresse :
Esgalement confus d’avoir esté deffaits,
Et d’avoir mal remply ses genereux souhaits.
Si l’un n’ose parler, l’autre ne sçait que dire :
Si l’un pousse un soûpir, l’autre aussi-tost soûpire :
Et leurs yeux où l’amour se mesle à la douleur,
Disent seuls à Probé leur sort et leur malheur.
Elle qui voit leur peine en devine la cause :
Elle leur veut parler, et pourtant elle n’ose :
Tous trois sont affligez, tous trois sont interdis ;
Comme elle est trop timide, ils sont trop peu hardis ;
Mais Tiburse à la fin se faisant violence,
En soûpirant encor, rompt enfin leur silence.