Page:De Scudery - Alaric, ou Rome vaincue, 1654.djvu/390

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Quitter Amalasonthe est un fort grand mal-heur :
Mais ne la quitter point, a plus d’une douleur.
Quoy, veux-tu l’exposer aux perils de la guerre ?
Veux-tu que son beau sang fasse rougir la terre ?
Pourras-tu sans mourir, la voir en ce danger ?
Et si tel est son sort, le pourras-tu changer ?
Ha ne balançons plus, il faut qu’elle demeure ;
Il faut que je la quitte, et non pas qu’elle meure ;
Il est juste, il est juste ; et pour la meriter,
Quittons là donc mon cœur : mais qui peut la quitter ?
Qui peut s’accoustumer à souffrir son absence ?
Non non je n’aime point, s’il est en ma puissance :
Et par cette raison, agissons autrement :
Car je sens bien que j’aime, et mesme infiniment.
Toutesfois l’interest de la personne aimée,
Est le seul interest, dans une ame enflamée :
Il s’agit de la perdre, ou de la conserver ;
Conclus donc à ta perte, afin de la sauver.
O divers sentimens, vous me donnez la gesne !
Mon mal-heur est certain ; sa perte est incertaine ;
Je ne sçay que resoudre, en l’estat où je suis ;
Je dois l’abandonner ; mais helas je ne puis.
Eutrope infortuné, regle mieux ta pensée :
Elle hait Alaric, en amante offensée ;
Ou pour mieux dire elle aime, en le pensant haïr ;
Et si ton bras la sert, ton bras te va trahir.
Elle peut voir ce prince ; il fut amoureux d’elle ;
Il peut l’aimer encor, puis qu’il est infidelle ;