Page:De Scudery - Alaric, ou Rome vaincue, 1654.djvu/464

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Esleve en mesme temps, et le cœur, et les yeux,
Et pousse chaque jour mille cris dans les cieux.
Mais cependant la faim, ce monstre impitoyable,
Fait desja dans ce peuple un ravage effroyable :
Il a desja brouté l’herbe de ses ramparts ;
Et ces corps affoiblis tombent de toutes parts.
Une eternelle faim les tenaille sans cesse :
Tout, tout leur paroist bon pour chasser leur foiblesse :
Et jusques aux poisons cherchant à se nourrir,
Pour vivre ils vont manger tout ce qui fait mourir.
La rage se meslant à leurs douleurs extrêmes,
Ils se mangent l’un l’autre ; ils se mangent eux-mesmes :
Et l’âge le plus foible en estant englouty,
L’enfant rentre en un lieu dont il estoit sorty.
La mere impitoyable en fait sa nourriture,
En donnant de l’horreur à toute la nature :
Dieu suspend du demon l’invisible pouvoir :
Rigilde mesme en meurt, avec tout son sçavoir :
Et les morts à grands tas dans les places publiques,
Ne sont plus des Romains que les tristes reliques :
Et par un mal si grand qu’on ne le peut guerir,
Rome qui n’est plus Rome est preste de perir.
Ces fantosmes affreux, ces squelettes horribles,
Paroissent à la fois, et foibles, et terribles :
Leur aspect toucheroit tout cœur sans amitié :
Ils causent de la peur comme de la pitié :
Et malgré tant de morts, et tant de funerailles,
Ces cadavres armez veillent sur les murailles.