Page:De Scudery - Alaric, ou Rome vaincue, 1654.djvu/77

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Il craint ce qu’il desire ; et retenant ses pas,
Il avance, et recule ; il veut, et ne veut pas.
Il prevoit sa douleur ; il prevoit sa colere ;
Il ne sçait que luy dire, et moins ce qu’il doit faire ;
Il balence ; il hesite ; et son cœur amoureux,
Ne fut jamais si grand, qu’il se croit malheureux.
Mais enfin son amour l’emporte où va son ame :
La crainte et ses glaçons le cedent à sa flâme :
Il entre où cette belle a desja murmuré ;
Sombre, triste, pensif, pasle, et desfiguré.
O puissance d’amour qui luy fais cette guerre,
Tu fais trembler un roy qui fait trembler la terre :
Tu le fais soûpirer ; tu luy retiens la voix ;
Et le vainqueur de Rome est vaincu cette fois.
Lors qu’il voit de plus pres cette illustre affligée,
Il la voit sans parure ; il la voit negligée ;
Mais pourtant tousjours belle, et tousjours en estat
De faire sur son cœur un nouvel attentat.
Un silence eloquent luy parle de son crime :
Sa bouche n’en dit rien, mais son regard l’exprime :
Je ne sçay quoy de fier, de triste, et d’amoureux,
Luy dit qu’il est coupable, autant que rigoureux.
Par trois fois cét amant voulut ouvrir la bouche,
Et trois fois on le vit muet comme une souche :
Il paroist en desordre, et le voyant transi,
Amalasonthe parle, et le querelle ainsi.
« Seigneur, j’ay desja sceu, mais non pas sans colere,
Le voyage fameux que vous pretendez faire :