Page:De Smet - Lettres choisies,1875.djvu/338

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— « Frères, écoutez-moi. Il y eut un temps où nos pères possédaient seuls cette grande île. Le Grand Esprit l’avait faite pour l’usage des Indiens. Leur empire s’étendait du soleil levant au soleil couchant. Le Grand Esprit avait créé le bison et le daim pour les nourrir  ; il avait créé l’ours et le castor pour les vêtir  ; il avait répandu ces animaux par tout le pays et nous avait appris à les chasser  ; il avait fait tout cela pour ses enfants rouges, parce qu’il les aimait. Mais un mauvais jour se leva sur nous  ; vos ancêtres traversèrent les grandes eaux et débarquèrent dans notre île  ; ils étaient en petit nombre, ils ne trouvèrent ici que des amis  ; ils nous dirent qu’ils avaient quitté leur pays pour échapper aux méchants et pour pratiquer librement leur religion  ; ils nous demandèrent un petit coin de terre. Nous eûmes pitié d’eux, nous leur accordâmes ce qu’ils nous demandaient, et ils s’établirent parmi nous. Nous leur donnâmes du blé et de la viande : ils nous donnèrent en échange du poison (de l’eau-de-vie). Ils écrivirent à leurs compatriotes d’outre-mer  ; d’autres hommes blancs abordèrent dans notre île. Nous ne les repoussâmes pas : nous ne leur supposions pas de malice  ; ils nous appelaient leurs frères  ! nous les crûmes et leur cédâmes une autre portion de terrain. Enfin, le nombre des hommes blancs augmentant toujours, il leur fallut notre île tout entière. Nos yeux s’ouvrirent alors, nos cœurs devinrent inquiets.