Page:De Staël – De l’Allemagne, Tome 1, 1814.djvu/108

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
74
DE L’ALLEMAGNE

grandes réunions, on en perd dans la rue, on en perd sur les escaliers en attendant que le tour de sa voiture arrive, on en perd en restant trois heures à table ; et il est impossible, dans ces assemblées nombreuses, de rien entendre qui sorte du cercle des phrases convenues. C’est une habile invention de la médiocrité pour annuler les facultés de l’esprit, que cette exhibition journalière de tous les individus les uns aux autres. S’il étoit reconnu qu’il faut considérer la pensée comme une maladie contre laquelle un régime régulier est nécessaire, on ne sauroit rien imaginer de mieux qu’un genre de distraction à la fois étourdissant et insipide : une telle distraction ne permet de suivre aucune idée, et transforme le langage en un gazouillement qui peut être appris aux hommes comme à des oiseaux.

J’ai vu représenter à Vienne une pièce dans laquelle Arlequin arrivoit revêtu d’une grande robe et d’une magnifique perruque, et tout à coup il s’escamotoit lui-même, laissoit debout sa robe et sa perruque pour figurer à sa place, et s’en alloit vivre ailleurs ; on seroit tenté de proposer ce tour de passe-passe à ceux qui fréquentent les grandes assemblées. On n’y va point pour rencontrer l’objet auquel on désireroit de