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DE L’ALLEMAGNE

Les Français ont fait peur à l’Europe, mais surtout à l’Allemagne, par leur habileté dans l’art de saisir et de montrer le ridicule : il y avoit je ne sais quelle puissance magique dans le mot d’élégance et de grâce qui irritoit singulièrement l’amour-propre. On diroit que les sentiments, les actions, la vie enfin, devoient, avant tout, être soumis à cette législation très-subtile de l’usage du monde, qui est comme un traité entre l’amour-propre des individus et celui de la société même, un traité dans lequel les vanités respectives se sont fait une constitution républicaine où l’ostracisme s’exerce contre tout ce qui est fort et prononcé. Ces formes, ces convenances légères en apparence, et despotiques dans le fond, disposent de l’existence entière ; elles ont miné par degrés l’amour, l’enthousiasme, la religion, tout, hors l’égoïsme que l’ironie ne peut atteindre, parce qu’il ne s’expose qu’au blâme et non à la moquerie.

L’esprit allemand s’accorde beaucoup moins que tout autre avec cette frivolité calculée ; il est presque nul à la superficie ; il a besoin d’approfondir pour comprendre ; il ne saisit rien au vol, et les Allemands auroient beau, ce qui certes seroit bien dommage, se désabuser des