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DE L’ALLEMAGNE

Cet homme sautoit sur sa chaise pendant qu’on lui parloit, achevoit les phrases des autres dans la crainte qu’elles ne se prolongeassent ; il inquiétoit d’abord et finissoit par lasser en étourdissant : car quelque vite qu’on aille en fait de conversation, quand il n’y a plus moyen de retrancher que sur le nécessaire, les pensées et les sentiments oppressent faute d’espace pour les exprimer.

Toutes les manières d’abréger le temps ne l’épargnent pas, et l’on peut mettre des longueurs dans une seule phrase si l’on y laisse du vide ; le talent de rédiger sa pensée brillamment et rapidement est ce qui réussit le plus en société, on n’a pas le temps d’y rien attendre. Nulle réflexion, nulle complaisance ne peut faire qu’on s’y amuse de ce qui n’amuse pas. Il faut exercer là l’esprit de conquête et le despotisme du succès : car le fond et le but étant peu de chose, on ne peut pas se consoler du revers par la pureté des motifs, et la bonne intention n’est de rien en fait d’esprit.

Le talent de conter, l’un des grands charmes de la conversation, est très-rare en Allemagne ; les auditeurs y sont trop complaisants, ils ne s’ennuient pas assez vite, et les conteurs, se fiant à la patience des auditeurs, s’établissent trop à