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DE L’ESPRIT DE CONVERSATION

leur aise dans les récits. En France, celui qui parle est un usurpateur qui se sent entouré de rivaux jaloux et veut se maintenir à force de succès ; en Allemagne, c’est un possesseur légitime qui peut user paisiblement de ses droits reconnus.

Les Allemands réussissent mieux dans les contes poétiques que dans les contes épigrammatiques : quand il faut parler à l’imagination, les détails peuvent plaire, ils rendent le tableau plus vrai : mais quand il s’agit de rapporter un bon mot, on ne sauroit trop abréger les préambules. La plaisanterie allège pour un moment le poids de la vie : vous aimez à voir un homme, votre semblable, se jouer ainsi du fardeau qui vous accable, et bientôt, animé par lui, vous le soulevez à votre tour ; mais quand vous sentez de l’effort ou de la langueur dans ce qui devroit être un amusement, vous en êtes plus fatigué que du sérieux même, dont les résultats au moins vous intéressent.

La bonne foi du caractère allemand est aussi peut-être un obstacle à l’art de conter ; les Allemands ont plutôt la gaieté du caractère que celle de l’esprit ; ils sont gais comme ils sont honnêtes pour la satisfaction de leur propre conscience, et