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DE LA LANGUE ALLEMANDE

dans tout ce qui tient à l’imagination et à la philosophie. Les Allemands craignent plus de faire de la peine qu’ils n’ont envie de plaire. De là vient qu’ils ont soumis autant qu’ils ont pu la politesse à des règles, et leur langue, si hardie dans les livres, est singulièrement asservie en conversation par toutes les formules dont elle est surchargée.

Je me rappelle d’avoir assisté, en Saxe, à une leçon de métaphysique d’un philosophe célèbre qui citoit toujours le baron de Leibnitz, et jamais l’entraînement du discours ne pouvoit l’engager à supprimer ce titre de baron, qui n’alloit guère avec le nom d’un grand homme mort depuis près d’un siècle.

L’allemand convient mieux à la poésie qu’à la prose, et à la prose écrite qu’à la prose parlée ; c’est un instrument qui sert très-bien quand on veut tout peindre ou tout dire : mais on ne peut pas glisser avec l’allemand comme avec le français sur les divers sujets qui se présentent. Si l’on vouloit faire aller les mots allemands du train de la conversation française, on leur ôteroit toute grâce et toute dignité. Le mérite des Allemands, c’est de bien remplir le temps ; le talent des Français, c’est de le faire oublier.