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DE L’ALLEMAGNE

de la patrie ; tout n’en est plus. On ne rencontre personne qui puisse vous parler d’autrefois, personne qui vous atteste l’identité des jours passés avec les jours actuels ; la destinée recommence, sans que la confiance des premières années se renouvelle ; l’on change de monde, sans avoir changé de cœur. Ainsi l’exil condamne à se survivre ; les adieux, les séparations, tout est comme à l’instant de la mort, et l’on y assiste cependant avec les forces entières de la vie.

J’étois, il y a six ans, sur les bords du Rhin, attendant la barque qui devoit me conduire à l’autre rive ; le temps étoit froid, le ciel obscur, et tout me sembloit un présage funeste. Quand la douleur agite violemment notre âme, on ne peut se persuader que la nature y soit indifférente ; il est permis à l’homme d’attribuer quelque puissance à ses peines ; ce n’est pas de l’orgueil, c’est de la confiance dans la céleste pitié. Je m’inquiétois pour mes enfants, quoiqu’ils ne fussent pas encore dans l’âge de sentir ces émotions de l’âme qui répandent l’effroi sur tous les objets extérieurs. Mes domestiques français s’impatientoient de la lenteur allemande, et s’étonnoient de n’être pas compris quand ils parloient la seule langue qu’ils crussent admise dans les pays civilisés. Il y avoit dans notre