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DE L’ALLEMAGNE

lui en prit pas les fruits, on ne lui en vola pas un seul pendant dix ans. J’ai vu ce pommier avec un sentiment de respect ; il eût été l’arbre des Hespérides, qu’on n’eût pas plus touché à son or qu’à ses fleurs.

La Saxe étoit d’une tranquillité profonde ; on y faisoit quelquefois du bruit pour quelques idées, mais sans songer à leur application. On eût dit que penser et agir ne devoient avoir aucun rapport ensemble, et que la vérité ressembloit, chez les Allemands, à la statue de Mercure nommé Hermès, qui n’a ni mains pour saisir, ni pieds pour avancer. Il n’est rien pourtant de si respectable que ces conquêtes paisibles de la réflexion, qui occupoient sans cesse des hommes isolés, sans fortune, sans pouvoir, et liés entre eux seulement par le culte de la pensée.

En France on ne s’est presque jamais occupé des vérités abstraites que dans leur rapport avec la pratique. Perfectionner l’administration, encourager la population par une sage économie politique, tel étoit l’objet des travaux des philosophes, principalement dans le dernier siècle. Cette manière d’employer son temps est aussi