Page:De Staël – De l’Allemagne, Tome 1, 1814.djvu/167

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
133
WEIMAR

très-ennuyeux. L’esprit des hommes s’y rétrécit, le cœur des femmes s’y glace ; on y vit tellement en présence les uns des autres, qu’on est oppressé par ses semblables ; ce n’est plus cette opinion à distance qui vous anime et retentit de loin comme le bruit de la gloire ; c’est un examen minutieux de toutes les actions de votre vie, une observation de chaque détail, qui rend incapable de comprendre l’ensemble de votre caractère ; et plus on a d’indépendance et d’élévation, moins on peut respirer à travers tous ces petits barreaux. Cette pénible gêne n’existoit point à Weimar, ce n’étoit point une petite ville, mais un grand château ; un cercle choisi s’entretenoit avec intérêt de chaque production nouvelle des arts. Des femmes, disciples aimables de quelques hommes supérieurs, s’occupoient sans cesse des ouvrages littéraires, comme des événements publics les plus importants. On appeloit l’univers à soi par la lecture et l’étude ; on échappoit par l’étendue de la pensée aux bornes des circonstances ; en réfléchissant souvent ensemble sur les grandes questions que fait naître la destinée commune à tous, on oublioit les anecdotes particulières de chacun. On ne rencontroit aucun de ces merveilleux de province, qui prennent si facilement le dédain pour