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LA PRUSSE

comme celle du lion, et l’on sentoit la griffe du pouvoir même au milieu de la grâce et de la coquetterie de l’esprit le plus aimable. Les hommes d’un caractère indépendant ont eu de la peine à se soumettre à la liberté que ce maître croyoit donner, à la familiarité qu’il croyoit permettre ; et, tout en l’admirant, ils sentoient qu’ils respiroient mieux loin de lui.

Le grand malheur de Frédéric fut de n’avoir point assez de respect pour la religion ni pour les mœurs. Ses goûts étoient cyniques. Bien que l’amour de la gloire ait donné de l’élévation à ses pensées, sa manière licencieuse de s’exprimer sur les objets les plus sacrés étoit cause que ses vertus mêmes n’inspiroient pas de confiance : on en jouissoit, on les approuvoit, mais on les croyoit un calcul. Tout sembloit devoir être de la politique dans Frédéric ; ainsi donc, ce qu’il faisoit de bien rendoit l’état du pays meilleur, mais ne perfectionnoit pas la moralité de la nation. Il affichoit l’incrédulité et se moquoit de la vertu des femmes : et rien ne s’accordoit moins avec le caractère allemand que cette manière de penser. Frédéric, en affranchissant ses sujets de ce qu’il appeloit les préjugés, éteignoit en eux le patriotisme : car, pour s’attacher aux pays naturellement som-