Page:De Staël – De l’Allemagne, Tome 1, 1814.djvu/179

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
145
LA PRUSSE

que effet du monde ; mais nul monarque, même en Orient, n’auroit assez de puissance pour influer ainsi, non sur le sens, mais sur le son de chaque mot qui se prononceroit dans son empire.

Klopstock a noblement reproché à Frédéric de négliger les muses allemandes, qui, à son insçu, s’essayoient à proclamer sa gloire. Frédéric n’a pas du tout deviné ce que sont les Allemands en littérature et en philosophie ; il ne les croyois pas inventeurs. Il vouloit discipliner les hommes de lettres comme ses armées, « Il faut, écrivait-il en mauvais allemand, dans ses instructions à l’académie, se conformer à la méthode de Boerhaave dans la médecine, à celle de Locke dans la métaphysique, et à celle de Thomasius pour l’histoire naturelle. » Ses conseils n’ont pas été suivis. Il ne se doutoit guère que de tous les hommes les Allemands étoient ceux qu’on pouvoit le moins assujettir à la routine littéraire et philosophique : rien n’annonçoit en eux l’audace qu’ils ont montrée depuis dans le champ de l’abstraction.

Frédéric considéroit ses sujets comme des étrangers, et les hommes d’esprit français comme ses patriotes. Rien n’étoit plus naturel, il faut en convenir, que de se laisser séduire par tout ce