Page:De Staël – De l’Allemagne, Tome 1, 1814.djvu/203

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l’enfance. Cette marche lente, mais sûre, conduit aussi loin qu’il est possible, dès qu’on s’astreint à ne la jamais hâter.

C’est chez Pestalozzi un spectacle attachant et singulier que ces visages d’enfants dont les traits arrondis, vagues et délicats, prennent naturellement une expression réfléchie : ils sont attentifs par eux-mêmes, et considèrent leurs études comme un homme d’un âge mûr s’occuperoit de ses propres affaires. Une chose remarquable, c’est que la punition ni la récompense ne sont point nécessaires pour les exciter dans leurs travaux. C’est peut-être la première fois qu’une école de cent cinquante enfants va sans le ressort de l’émulation et de la crainte. Combien de mauvais sentiments sont épargnés à l’homme, quand on éloigne de son cœur la jalousie et l’humiliation, quand il ne voit point dans ses camarades des rivaux, dans ses maîtres des juges ! Rousseau vouloit soumettre l’enfant à la loi de la destinée ; Pestalozzi crée lui-même cette destinée pendant le cours de l’éducation de l’enfant, et dirige ses décrets pour son bonheur et son perfectionnement. L’enfant se sent libre parce qu’il se plaît dans l’ordre général qui l’entoure, et dont l’égalité parfaite n’est point dérangée même par les talents plus ou moins