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POURQUOI LES FRANÇAIS, etc.

être émus, ni même s amuser aux dépens de leur conscience littéraire : le scrupule s’est réfugié là. Un auteur allemand forme son public ; en France le public commande aux auteurs. Comme on trouve en France un beaucoup plus grand nombre de gens d’esprit qu’en Allemagne, le public y est beaucoup plus imposant, tandis que les écrivains allemands, éminemment élevés au-dessus de leurs juges, les gouvernent au lieu d’en recevoir la loi. De là vient que ces écrivains ne se perfectionnent guère par la critique : l’impatience des lecteurs ou celle des spectateurs ne les oblige point à retrancher les longueurs de leurs ouvrages, et rarement ils s’arrêtent à temps, parce qu’un auteur, ne se lassant presque jamais de ses propres conceptions, ne peut être averti que par les autres du moment où elles cessent d’intéresser. Les Français pensent et vivent dans les autres, au moins sous le rapport de l’amour-propre ; et l’on sent, dans la plupart de leurs ouvrages, que leur principal but n’est pas l’objet qu’ils traitent, mais l’effet qu’ils produisent. Les écrivains français sont toujours en société, alors même qu’ils composent ; car ils ne perdent pas de vue les jugements, les moqueries et le goût à la mode,