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LA LITTÉRATURE ET LES ARTS

mands tolèrent le moins, c’est l’attente trompée ; leurs efforts mêmes et leur persévérance leur rendent les grands résultats nécessaires. Dès qu’il n’y a pas dans un livre des pensées fortes et nouvelles, il est bien vite dédaigné, et si le talent fait tout pardonner, l’on n’apprécie guère les divers genres d’adresse par lesquels on peut essayer d’y suppléer.

La prose des Allemands est souvent trop négligée. L’on attache beaucoup plus d’importance au style en France qu’en Allemagne ; c’est une suite naturelle de l’intérêt qu’on met à la parole, et du prix qu’elle doit avoir dans un pays où la société domine. Tous les hommes d’un peu d’esprit sont juges de la justesse et de la convenance de telle ou telle phrase, tandis qu’il faut beaucoup d’attention et d’étude pour saisir l’ensemble et l’enchaînement d’un ouvrage. D’ailleurs les expressions prêtent bien plus à la plaisanterie que les pensées, et dans tout ce qui tient aux mots l’on rit avant d’avoir réfléchi. Cependant la beauté du style n’est point, il faut en convenir, un avantage purement extérieur ; car les sentiments vrais inspirent presque toujours les expressions les plus nobles et les plus justes, et s’il est permis d’être indulgent pour le style d’un écrit philosophique,