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LA LITTÉRATURE ET LES ARTS

sion involontaire, et sans que la réflexion pût en rien altérer les motifs ni les suites de ses actions. Les anciens avoient pour ainsi dire une âme corporelle, dont tous les mouvements étoient forts, directs et conséquents ; il n’en est pas de même du cœur humain développé par le christianisme : les modernes ont puisé, dans le repentir chrétien, l’habitude de se replier continuellement sur eux-mêmes.

Mais, pour manifester cette existence toute intérieure, il faut qu’une grande variété dans les faits présente sous toutes les formes les nuances infinies de ce qui se passe dans l’âme. Si de nos jours les beaux-arts étoient astreints à la simplicité des anciens, nous n’atteindrions pas à la force primitive qui les distingue, et nous perdrions les émotions intimes et multipliées dont notre âme est susceptible. La simplicité de l’art, chez les modernes, tourneroit facilement à la froideur et à l’abstraction, tandis que celle des anciens étoit pleine de vie. L’honneur et l’amour, la bravoure et la pitié sont les sentiments qui signalent le christianisme chevaleresque ; et ces dispositions de l’âme ne peuvent se faire voir que par les dangers, les exploits, les amours, les malheurs, l’intérêt romantique enfin, qui varie sans cesse les