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DE LA POÉSIE CLASSIQUE

tableaux. Les sources des effets de l’art sont donc différentes à beaucoup d’égards dans la poésie classique et dans la poésie romantique ; dans l’une, c’est le sort qui règne ; dans l’autre, c’est la Providence ; le sort ne compte pour rien les sentiments des hommes, la Providence ne juge les actions que d’après les sentiments. Comment la poésie ne créeroit-elle pas un monde d’une toute autre nature, quand il faut peindre l’œuvre d’un destin aveugle et sourd, toujours en lutte avec les mortels, ou cet ordre intelligent auquel préside un être suprême, que notre cœur interroge, et qui répond à notre cœur !

La poésie païenne doit être simple et saillante comme les objets extérieurs ; la poésie chrétienne a besoin des mille couleurs de l’arc-en-ciel pour ne pas se perdre dans les nuages. La poésie des anciens est plus pure comme art, celle des modernes fait verser plus de larmes : mais la question pour nous n’est pas entre la poésie classique et la poésie romantique, mais entre l’imitation de l’une et l’inspiration de l’autre. La littérature des anciens est chez les modernes une littérature transplantée : la littérature romantique ou chevaleresque est chez nous indigène, et c’est notre religion et nos institutions qui l’ont fait éclore.