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LA LITTÉRATURE ET LES ARTS

tie du goût, et c’est une arme excellente pour parer les coups entre les divers amours-propres ; enfin il peut arriver qu’une nation entière se place, en aristocratie de bon goût, vis-à-vis des autres, et qu’elle soit ou qu’elle se croie la seule bonne compagnie de l’Europe ; et c’est ce qui peut s’appliquer à la France, où l’esprit de société régnoit si éminemment qu’elle avoit quelque excuse pour cette prétention.

Mais le goût dans son application aux beaux-arts diffère singulièrement du goût dans son application aux convenances sociales ; lorsqu’il s’agit de forcer les hommes à nous accorder une considération éphémère comme notre vie, ce qu’on ne fait pas est au moins aussi nécessaire que ce qu’on fait, car le grand monde est si facilement hostile qu’il faut des agréments bien extraordinaires pour qu’ils compensent l’avantage de ne donner prise sur soi à personne : mais le goût en poésie tient à la nature et doit être créateur comme elle ; les principes de ce goût sont donc tout autres que ceux qui dépendent des relations de la société.

C’est la confusion de ces deux genres qui est la cause des jugements si opposés en littérature ; les Français jugent les beaux-arts comme des