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Page:De Staël – De l’Allemagne, Tome 1, 1814.djvu/79

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LA CHEVALERIE

transformer le courage en un moyen d’impunité sociale ?

Depuis que l’esprit chevaleresque s’étoit éteint en France, depuis qu’il n’y avoit plus de Godefroi, de saint Louis, de Bayard, qui protégeassent la foiblesse, et se crussent liés par une parole comme par des chaînes indissolubles, j’oserai dire, contre l’opinion reçue, que la France a peut-être été, de tous les pays du monde, celui où les femmes étoient le moins heureuses par le cœur. On appeloit la France le paradis des femmes, parce qu’elles y jouissoient d’une grande liberté ; mais cette liberté même venoit de la facilité avec laquelle on se détachoit d’elles, Le Turc qui renferme sa femme lui prouve au moins par-là qu’elle est nécessaire à son bonheur : l’homme à bonnes fortunes, tel que le dernier siècle nous en a fourni tant d’exemples, choisit les femmes pour victimes de sa vanité ; et cette vanité ne consiste pas seulement à les séduire, mais à les abandonner. Il faut qu’il puisse indiquer avec des paroles légères et inattaquables en elles-mêmes que telle femme l’a aimé et qu’il ne s’en soucie plus. « Mon amour-propre me crie : Fais-la mourir de chagrin, » disoit un ami du baron de Bezenval, et cet ami lui parut très-regrettable quand une mort pré-