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LA PHIOLOSOPHIE ET LA MORALE

rales de ceux qui s’y livrent. La pensée réside, comme tout ce qui est précieux, au fond de nous-mêmes ; car, à la superficie, il n’y a rien que de la sottise ou de l’insipidité. Mais quand on oblige de bonne heure les hommes à creuser dans leur réflexion, à tout voir dans leur âme, ils y puisent une force et une sincérité de jugement qui ne se perdent jamais.

Fichte est dans les idées abstraites une tête mathématique comme Euler ou La Grange. Il méprise singulièrement toutes les expressions un peu substantielles, l’existence est déjà un mot trop prononcé pour lui. L’être, le principe, l’essence sont à peine des paroles assez éthérées pour indiquer les subtiles nuances de ses opinions. On diroit qu’il craint le contact des choses réelles, et qu’il tend toujours à y échapper. À force de le lire ou de s’entretenir avec lui, l’on perd la conscience de ce monde, et l’on a besoin, comme les ombres que nous peint Homère, de rappeler en soi les souvenirs de la vie.

Le matérialisme absorbe l’âme en la dégradant, l’idéalisme de Fichte, à force de l’exalter, la sépare de la nature. Dans l’un et l’autre extrême, le sentiment, qui est la véritable beauté de l’existence, n’a point le rang qu’il mérite.