Page:De Staël – De l’Allemagne, Tome 3, 1814.djvu/152

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
134
LA PHILOSOPHIE ET LA MORALE.

sent ou ce qu’on pense, sans réfléchir à aucun résultat ni tendre vers aucun but ; et c’est en cela qu’il s’accorde avec la théorie des Allemands sur la littérature.

Kant, en séparant le beau de l’utile, prouve clairement qu’il n’est point du tout dans la nature des beaux-arts de donner des leçons. Sans doute tout ce qui est beau doit faire naître des sentiments généreux, et ces sentiments excitent à la vertu ; mais dès qu’on a pour objet de mettre en évidence un précepte de morale, la libre impression que produisent les chefs-d’œuvre de l’art est nécessairement détruite ; car le but, quel qu’il soit, quand il est connu, borne et gêne l’imagination. On prétend que Louis XIV disoit à un prédicateur qui avoit dirigé son sermon contre lui : « Je veux bien me faire ma part ; mais je ne veux pas qu’on me la fasse. » L’on pourroit appliquer ces paroles aux beaux-arts en général : ils doivent élever l’âme, et non pas l’endoctriner.

La nature déploie ses magnificences souvent sans but, souvent avec un luxe que les partisans de l’utilité appelleroient prodigue. Elle semble se plaire à donner plus d’éclat aux fleurs, aux arbres des forêts, qu’aux végétaux qui servent d’a-