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NOUVELLE PHILOSOPHIE ALLEMANDE.

de la Divinité cependant c’est le plus magnifique, car il semble pour ainsi dire superflu. Le soleil nous éclaire, nous respirons l’air d’un ciel serein, toutes les beautés de la nature servent en quelque façon à l’homme ; la musique seule est d’une noble inutilité, et c’est pour cela qu’elle nous émeut si profondément ; plus elle est loin de tout but, plus elle se rapproche de cette source intime de nos pensées que l’application à un objet quelconque resserre dans son cours.

La théorie littéraire des Allemands diffère de toutes les autres, en ce qu’elle n’assujettit point les écrivains à des usages ni à des restrictions tyranniques. C’est une théorie toute créatrice, c’est une philosophie des beaux-arts qui, loin de les contraindre, cherche, comme Prométhée, à dérober le feu du ciel pour en faire don aux poëtes. Homère, Le Dante. Shakespear, me dira-t-on, savoient-ils rien de tout cela ? Ont-ils eu besoin de cette métaphysique pour être de grands écrivains ? Sans doute la nature n’a point attendu la philosophie, ce qui se réduit à dire que le fait a précédé l’observation du fait ; mais puisque nous sommes arrivés à l’époque des théories, ne faut-il pas au moins se garder de celles qui peuvent étouffer le talent ?