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LA PHILOSOPHIE ET LA MORALE.

Il faut avouer cependant qu’il résulte assez souvent quelques inconvénients essentiels de ces systèmes de philosophie appliqués à la littérature ; les lecteurs allemands, accoutumés à lire Kant, Fichte, etc., considèrent un moindre degré d’obscurité comme la clarté même, et les écrivains ne donnent pas toujours aux ouvrages de l’art cette lucidité frappante qui leur est si nécessaire. On peut, on doit même exiger une attention soutenue, quand il s’agit d’idées abstraites ; mais les émotions sont involontaires. Il ne peut être question, dans les jouissances des arts, ni de complaisance, ni d’effort, ni de réflexion : il s’agit là de plaisir et non de raisonnement ; l’esprit philosophique peut réclamer l’examen, mais le talent poétique doit commander l’entraînement.

Les idées ingénieuses qui dérivent des théories font illusion sur la véritable nature du talent. On prouve spirituellement que telle ou telle pièce n’a pas dû plaire, et cependant elle plaît, et l’on se met alors à mépriser ceux qui l’aiment. On prouve aussi que telle pièce, composée d’après tels principes, doit intéresser, et cependant quand on veut qu’elle soit jouée, quand on lui dit lève-toi et marche, la pièce ne va pas, et il faut donc