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LA PHILOSOPHIE ET LA MORALE.

stupides à cet égard : ils vont à travers les sentiments, comme s’ils marchoient sur des fleurs, en s’étonnant de les flétrir. N’y a-t-il pas des hommes qui n’admirent pas Raphaël, qui entendent la musique sans émotion, à qui l’océan et les cieux ne paroissent que monotones ? Comment donc comprendroient-ils les orages de l’âme ?

Les caractères même les plus sensibles ne sont-ils pas quelquefois découragés dans leurs espérances ? ne peuvent-ils pas être saisis par une sorte de sécheresse intérieure, comme si la divinité se retiroit d’eux ? Ils n en restent pas moins fidèles à leurs affections ; mais il n’y a plus de parfums dans le temple, plus de musique dans le sanctuaire, plus d’émotion dans le cœur. Souvent aussi le malheur commande de faire taire en soi-même cette voix du sentiment, harmonieuse ou déchirante, selon qu’elle s’accorde ou non avec la destinée. Il est donc impossible de faire un devoir de la sensibilité, car ceux qui l’éprouvent en souffrent assez pour avoir souvent le droit et le désir de la réprimer.

Les nations ardentes ne parlent de la sensibilité qu’avec terreur ; les nations paisibles et rêveuses croient pouvoir l’encourager sans crainte. Au reste l’on n’a peut-être jamais écrit sur ce sujet