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DE LA DISPOSITION ROMANESQUE, etc.

de se permettre quelquefois en ce genre des exagérations qui gâtent tout.

Cette émulation de sensibilité entre quelques femmes et quelques écrivains d’Allemagne seroit dans le fond assez innocente, si le ridicule qu’on donne à l’affectation ne jetoit pas toujours une sorte de défaveur sur la sincérité même. Les hommes froids et égoïstes trouvent un plaisir particulier à se moquer des attachements passionnés, et voudroient faire passer pour factice tout ce qu’ils n’éprouvent pas. Il y a même des personnes vraiment sensibles que l’exagération doucereuse affadit sur leurs propres impressions, et qu’on blase sur le sentiment comme on pourroit les blaser sur la religion, par les sermons ennuyeux et les pratiques superstitieuses.

On a tort d’appliquer les idées positives que nous avons sur le bien et le mal aux délicatesses de la sensibilité. Accuser tel ou tel caractère de ce qui lui manque à cet égard, c’est comme faire un crime de n’être pas poëte. La susceptibilité naturelle à ceux qui pensent plus qu’ils n’agissent peut les rendre injustes envers les personnes d’une autre nature. Il faut de l’imagination pour deviner tout ce que le cœur peut faire souffrir, et les meilleures gens du monde sont souvent lourds et