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LA PHILOSOPHIE ET LA MORALE.

au midi le soleil, les arts et les sciences. Mais les barbares policés n’estiment que l’habileté dans les affaires de ce monde, et ne s’instruisent que juste ce qu’il faut pour déjouer par quelques phrases le recueillement de toute une vie.

Ceux qui nient la perfectibilité de l’esprit humain prétendent qu’en toutes choses les progrès et la décadence se suivent tour à tour, et que la roue de la pensée tourne comme celle de la fortune. Quel triste spectacle que ces générations s’occupant sur la terre, comme Sisyphe dans les enfers, à des travaux constamment inutiles ! et que seroit donc la destinée de la race humaine, si elle ressembloit au supplice le plus cruel que l’imagination des poëtes ait conçu ? Mais il n’en est pas ainsi, et l’on peut apercevoir un dessein toujours le même, toujours suivi, toujours progressif dans l’histoire de l’homme.

La lutte entre les intérêts de ce monde et les sentiments élévés a existé de tout temps dans les nations comme dans les individus. La superstition met quelquefois les hommes éclairés du parti de l’incrédulité, et quelquefois, au contraire, ce sont les lumières mêmes qui éveillent toutes les croyances du cœur. Maintenant les philosophes se réfugient dans la religion pour