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LA PHILOSOPHIE ET LA MORALE.

croyoit assuré de l’emporter sur les autres par ses talents naturels, on ne chercherait pas à niveler le parterre sur lequel on veut dominer. Il y a des médiocrités d’âme déguisées en esprit piquant et malicieux, mais la vraie supériorité est rayonnante de bons sentiments comme de hautes pensées.

L’habitude des occupations intellectuelles inspire une bienveillance éclairée pour les hommes et pour les choses ; on ne tient plus à soi comme à un être privilégié : quand on en sait beaucoup sur la destinée humaine, on ne s’irrite plus de chaque circonstance comme d’une chose sans exemple ; et la justice n’étant que l’habitude de considérer les rapports des êtres entre eux sous un point de vue général, l’étendue de l’esprit sert à nous détacher des calculs personnels. On a plané sur sa propre existence comme sur celle des autres, quand on s’est livré à la contemplation de l’univers.

Un des grands inconvénients aussi de l’ignorance dans les temps actuels, c’est qu’elle rend tout-à-fait incapable d’avoir une opinion à soi sur la plupart des objets qui exigent de la réflexion ; en conséquence, lorsque telle ou telle manière de voir est mise en honneur par l’ascen-